Chevaux mutilés :
"On peut tout imaginer devant des choses aussi insensées"

Depuis des mois, des chevaux ont été mutilés, parfois tués en France. Une implication humaine est certaine dans une minorité de cas, vingt pour cent.
Dans l'Orne, propriétaires et autorités renforcent leur surveillance sans céder à la psychose.

Un lion couleur mi-or mi-sable orne le blason de Villebadin (1). Mais dans cette commune rurale de 1300 hectares, désormais rattachée à la voisine Gouffern-en-Auge, au coeur de l'Orne, c'est plutôt le cheval qui est roi. 127 âmes sont recensées ici et sans doute davantage d'équidés.

C'est sur ces pâtures il y a quinze jours qu'une jument a été massacrée. La nécropsie (NDLR : l'autopsie pour les animaux, réalisée dans le Calvados proche) prouve qu'elle a été mutilée au niveau de la tête, après sa mort. "Ce sont des fous furieux qui ont fait ça". La propriétaire, encore sous le choc, ne souhaite pas s'appesantir sur le sujet. A part quelques mots : "J'espère qu'ils les trouveront, je voudrais comprendre".

"Ce sont des fous furieux
qui ont fait ça"
Propriétaire d'une jument tuée et mutilée à Villebadin (Orne)

Qui sont ceux qui, en France, font souffler un vent de panique sur le monde équin depuis des mois, et surtout depuis cet été, suscitant un emballement médiatique hystérisant les débats et les recherches ? Et ajoutant à la crise sanitaire dévastatrice un sentiment d'incompréhension et de colère.

84 cas liés à une intervention humaine, 80 encore indécis

Dans l'Orne, où l'équidé est au coeur de l'écosystème ("record de naissances de chevaux au monde avec le Kentucky aux USA et le comté de Kildare en Irlande" selon une spécialiste locale), et où l'on compte 900 propriétaires différents, les gendarmes ont recensé quatre attaques en dix jours. Dix cas, dont certains non-mortels, ont été identifiés depuis fin août dans le département. "L'intervention humaine ne fait pas de doute", selon le procureur de la République d'Alençon.

Carte réalisée et actualisée par Solange Recorbet

Comme elle ne fait pas de doute, à l'heure actuelle, sur 84 des 460 cas enregistrés par la gendarmerie au niveau national. Sachant que 80 autres (sur les 460) restent à ce stade "incertains" et que les presque trois cents autres sont liés à des blessures propres à l'animal, à son environnement, ou à des attaques d'autres bêtes.

La série macabre ne semble pas avoir de limites. Ni dans l'horreur (oreilles coupées, museau tranché, sexe mutilé, lacérations en tous genres), ni dans l'espace géographique français.

C'est un peu l'omertà sur le sujet
Un commerçant de la filière équine, Orne

Dans le département normand, les avis semblent partagés sur la méthode à adopter. En parler, ou pas ? "C'est un peu l'omerta sur le sujet", admet ce commerçant fournisseur du milieu équin, qui souhaite rester anonyme, "mais c'est l'enquête qui veut ça, et on ne veut pas lui faire de tort".

Ses clients ne sont pas très loquaces sur le sujet. "Aucun à ce jour n'a été confronté à un tel drame", retient notre interlocuteur, "mais la paranoïa s'installe. Ici, certains chevaux valent très cher, et il est difficile de surveiller des cheptels reculés sur des hectares de terrain".

Sous un ciel très capricieux, entre prairies verdoyantes et bocage, l'Orne transpire le cheval à plein museau. Les vans à chevaux tracent sur les routes sinueuses transperçant les vallons. Derrière chaque taillis ou bosquet, l'un des meilleurs amis de l'homme se repaît de nature vierge.

Guillaume Moinon, Haras du Renard,
Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe (Orne)

Ce paysage, Guillaume Moinon en profite chaque jour depuis les fenêtres de sa bâtisse. A 42 ans, petit-fils d'éleveur, il se présente comme "exploitant agricole autant qu'entraineur trotteur et éleveur".

Tout ce qui arrive est choquant, surtout quand on est passionné et qu'on travaille sur du vivant
Guillaume Moinon, exploitant agricole et éleveur de chevaux

Il tourne dans le milieu équestre depuis une vingtaine d'années, et son Haras du Renard, à Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe, possède une cinquantaine de chevaux sur 35 hectares. Comment imaginer que "Hip-Hop du Renard", "Gessie de la lune", "Gringo des pistes" ou "Django Rudelande", majestueuses montures de son cheptel, se retrouvent attaquées ?

"Tout ce qui arrive est choquant, surtout quand on est passionné et qu'on travaille sur du vivant, comme les chevaux", souligne-t-il, "peut-être que plus on en parle, plus ça donne des idées, mais je n'ai pas vraiment le temps de m'inquiéter...et je fais confiance aux gendarmes"

Son unique salarié Franck et trois apprentis profitent de leur pause déjeuner. Ce jour-là, un tiers de ses bêtes se trouvent dans les prés, couvertes le plus souvent pour affronter la pluie.

Guillaume décrit calmement : "Tout le monde chez nous est beaucoup plus vigilant, on tend le dos, mais on ne veut pas tomber dans la psychose". Car il faut déjà affronter la crise du Covid-19, et se relever. Le bilan est maigre : "Deux mois sans courses puis à huis-clos, pas d'étrangers présents, presque pas de revenus, seulement quelques aides de l'Etat".

Alors, il reste interdit devant de tels gestes barbares : "Jusqu'où découvrira-t-on des surprises ? A quoi ça sert ? C'est incompréhensible. Ceux qui sont capables de faire ça à des animaux peuvent le faire à des hommes..."

Que risquent les auteurs
des mutilations ?

Les sévices et actes de cruauté sont régis par le même article du code pénal (L521-1) qui prévoit que : Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Les personnes physiques coupables des infractions prévues au présent article encourent également les peines complémentaires d'interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal... »

En dépit des efforts des nombreuses fondations et des récentes préconisations du député Loic Dombreval, les actes de cruauté ne sont pas jugés plus sévèrement que les sévices, alors qu’il s’agit de deux comportements différents. Contrairement aux États Unis qui ont voté récemment (le 29 novembre 2019) une loi fédérale érigeant en crime les actes de cruauté sur animaux, passibles d’une peine allant jusqu’à 7 ans de prison, en France à ce jour toutes les propositions pour augmenter les peines (2 ans maximum) n’ont pu aboutir et la chancellerie ne parait pas disposée à modifier les textes sur ce point..

Outre la peine pénale à l’encontre des prévenus, prononcée par le tribunal judiciaire, les victimes peuvent se constituer partie civile et réclamer des dommages et intérêts devant le tribunal tenant compte notamment de la valeur du cheval décédé ou blessé, et du préjudice moral en cas de décès de l’animal. Le propriétaire peut réclamer l’indemnisation de son préjudice lié à sa propre souffrance en cas de décès de l’animal, mais il ne peut solliciter des dommages et intérêts en invoquant la souffrance qui a été ressentie par son animal. L’animal n’étant pas considéré juridiquement comme une personne, le propriétaire ne peut être une victime indirecte.

S’agissant des chevaux mutilés objet de notre analyse, outre le fait que les peines peuvent paraître insuffisamment répressives, la vraie difficulté sera de retrouver le ou les coupables.

Le décompte s'est poursuivi ces dernières semaines. Environ deux cents enquêtes ont été ouvertes sur vingt départements. L’État ne fait plus la sourde oreille, et a fédéré professionnels de l'équitation, monde agricole et gendarmerie.

Comment se protéger, comment surveiller le million de chevaux du territoire français (dont 900.000 pour l'équitation), et comment arrêter cette spirale infernale ? Le champ des hypothèses reste ouvert : rites sataniques, dérive sectaire, défi lié au "dark net" -le côté obscur du web- ou aux jeux vidéos comme le fameux Red dead Redemption ?

Ou toutes ces pistes à la fois, sans réelle corrélation ? Un effet mimétisme -copycat, terme des enquêteurs- a pu amplifier le phénomène et de facto brouiller les pistes.

"La pluralité d'auteurs
complexifie l'enquête"
Colonel Frédéric Jobert et commandant Emmanuel Monge-Roffarello, groupement de gendarmerie Alençon

Cibles

"Dans l'Orne, on recense beaucoup de haras et de centres équestres. L'analyse des faits montre que les cibles sont partout, et même au-delà du monde du cheval. Par exemple, deux bovins ont été mutilés en septembre-octobre ici. Notre département rural est habituellement calme : dans le derniers tiers en termes de délinquance au niveau national".

Moyens

"La gendarmerie mobilise énormément de moyens sur cette affaire, reposant sur une forte coordination entre le local (brigades et sections de recherche) et le national (Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique OCLAESP et Service central de renseignement criminel SCRC). Toute une chaîne activée pour les recoupements, les identifications, avec la collaboration de l'IRCGN, de cyber-enquêteurs"

Enquête

"On n'exclue rien. Des utilisateurs du dark net sont-ils derrière tout ça ? Cela part-il d'un challenge morbide, d'un rituel satanique, de motifs de vengeance parfois ? La pluralité des auteurs complexifie l'enquête. Quelques interpellations ont eu lieu sur l'ensemble de la France (aucune à ce stade dans l'Orne) mais sans résultats probants. Nous ne minimisons pas ce qu'il se passe, mais il faut faire la part des choses, et rester prudent. C'est parfois accidentel...".

Prévention

"On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque cheval, surtout dans l'Orne. On patrouille de jour, de nuit, on fait du porte-à-porte, on effectue des actions de prévention en collaboration avec les acteurs de la filière équitation. On a 22 personnels dans nos brigades sensibilisés spécialement à cette surveillance et prévention".

"Des imitateurs sans idéologie, c'est possible" estime Jean-Pierre Digard, ethnologue et anthropologue au CNRS, "de toute façon, on peut tout imaginer devant des choses aussi insensées. Insensé, c'est le mot". La piste sataniste ? "Un cheval, symboliquement, ça peut être tout et son contraire : la puissance, le solaire, ça peut laisser cours à toutes les interprétations satanistes".

Pour les satanistes, un cheval, symboliquement, ça peut être tout
et son contraire
Jean-Pierre Digard, anthropologue et ethnologue au CNRS

A la connaissance de ce directeur de recherche émérite, il n'existe pas de précédent dans l'Histoire. Jean-Pierre Digard juge étonnant que "les gendarmes n'aient à ce jour aucune piste sérieuse" : "Pourquoi cette contagion ? Ces actes groupés dans le temps ?" Beaucoup d'interrogations, trop peu de réponses.

Egalement spécialiste de la domestication des animaux, M. Digard décrit l'évolution du statut du cheval, qui "tend aujourd'hui à devenir un animal de compagnie, plus guère utilisé pour le travail".

Le changement de sociologie des utilisateurs de chevaux, "bouleversée depuis un demi-siècle, de moins en moins synonyme d'aristocratie", pourrait constituer une autre explication, selon lui. "Peut-on imaginer que ça ait un lien avec ce sport désormais pratiqué à 80 % par les femmes, avec des fêlés jaloux des chevaux ?"

1er cas recensé en novembre 2019

Hauts-de-France : région la plus touchée
par le nombre de morts

Bourgogne-Franche Comté : région qui compte le plus grand nombre de mutilations

D'autres pays européens ont déjà connu de tels phénomènes :
- le Royaume-Uni entre 1983 et 1993
avec 160 cas
- l'Allemagne entre 1993 et 2003
avec 50 cas
- la Belgique il y a 4 ans

Devant cette ruée vers les incertitudes, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) préfère freiner des quatre fers, et qu'on "en parle le moins possible".
Impossible pourtant quand les réseaux sociaux et surtout les groupes Facebook s'emparent de l'affaire, sur-réagissent à la moindre "blessure" de cheval. Avérée ou non. D'origine humaine ou non. Ce dossier, comme celui de l'affaire Pilarski, sent la poudre.

Chacun avance son hypothèse sur le(s) mobile(s). Du côté des professionnels, l'avocate Blanche de Granvilliers (lire par ailleurs), spécialiste du monde équin, penche, comme sa consoeur Marie-Bénédicte Desvallon pour la thèse "de prélèvements liés à un trafic d'organes". Tout comme Jacques-Charles Fombonne, président de la Société protectrice des animaux (SPA) (lire par ailleurs), qui évoque, pour certains cas, "un découpage professionnel, des prélèvements que seuls des vétérinaires peuvent réaliser".

Ces personnes agissent
avec une certaine technicité
Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture

Un mode opératoire identique revient effectivement à de nombreuses reprises. A quel dessein ? "L'expérimentation animale et médicale, la quête d'anticorps en grand nombre ? ", s'interroge-t-il.

Incontestablement, les "mutilateurs" sont des professionnels et ont l'habitude d'évoluer avec les chevaux. Même Julien Denormandie, le ministre de l'Agriculture, qui s'investit sur ce dossier sensible et a annoncé en septembre la mise en place d'un numéro vert (2), avait décrit "des personnes qui agissent avec une certaine technicité".

Après des mois de flou et d'embourbement, l'incompréhension a laissé place à la colère chez certains amoureux des chevaux. Parmi ceux qui portent la voix de la révolte, on trouve Eric Elias, au Merlerault (Orne). Il a fondé "AVIE" (Assistance et vigilance internationale équine) le 11 septembre -"un signe"- dernier.

"Le temps n'est plus aux tergiversations, mais à l'action", lance fièrement depuis son bureau-capharnaüm ce retraité qui a beaucoup baroudé professionnellement, avant de se poser au haras des Tilleuls sur les hauts de la commune. Une feuille "Alerte, mobilisation générale" est collée à la vitrine du local. Lui parle d'"opération d'urgence".

Eric Elias, fondateur de l'association AVIE,
Le Merlerault (Orne)

Plus de temps à perdre, selon lui, "car l'Etat - plus préoccupé à s'occuper de la supercherie du Covid- et les services publics, ne peuvent plus (nous) aider". M. Elias, "consultant équin", tente de mobiliser à tour de bras, aussi vite qu'il tape sur son clavier d'ordinateur portable : la maire de Merlerault, les acteurs de la filière cheval dans ce secteur situé à quelques kilomètres seulement du plus ancien et prestigieux haras de France, celui du Pin.

Ces "terroristes" utilisent des sédatifs
et des fusils hypodermiques
Eric Elias, fondateur de l'association AVIE

Adepte du "un pour tous, tous pour un" des Trois Mousquetaires, il se dit capable de rassembler "voitures, tracteurs et tous véhicules" pour organiser de nuit comme de jour des "nasses" et attraper les "fêlés de service qui martyrisent les bestioles avec leurs rites satanistes", "ces terroristes qui utilisent sédatifs et fusils hypodermiques".

Il nous présente un croquis, décrivant sa stratégie localement, mais voit déjà beaucoup plus loin, plus haut. Son ambition ? "Mailler la France en un mois avec son association". Pas moins. "Première étape : le Nord et l'Est, 6700 km en cinq jours". Un autre collectif du même ordre, très remonté lui aussi, s'est créé sous le nom "Urgence chevaux et milieu rural en danger". On évoque le terme de "milice" avec Eric Elias. Ce dernier le réfute : "On ne veut pas tuer ou dézinguer, juste attraper, en collaboration avec les gendarmes".

"Mettre fin à cette barbarie
va être difficile"
Blanche de Granvilliers, avocate, membre de l'Institut du droit équin*

A quel stade se trouve-t-on aujourd'hui dans cette affaire hors-norme ?

On constate que la gendarmerie, malgré tous les moyens déployés, n'a toujours pas de certitude, et ne communique pas sur une piste éventuelle. Il n'est pas simple de s'y retrouver. On observe une certaine recrudescence des cas depuis que ces affaires ont été médiatisées cet été. Mettre fin à cette barbarie va être difficile. On espère que l'enquête portera ses fruits...

Tous les propriétaires de chevaux doivent-ils s'inquiéter ?

Personne dans le milieu ne se sent à l'abri. Cela peut aller d'un paisible âne à un cheval de sport, ou à un poulain pur sang. On comprend qu'une certaine paranoïa puisse s'installer

La mobilisation sur les réseaux sociaux favorise-t-elle l'enquête ?

De nombreux groupes privés se sont créés, ça part d'une bonne intention. Mais qui dit que certaines personnes mal-intentionnées n'intègrent pas ces groupes pour espionner ? L'un des avantages de la prise de la conscience et de la médiatisation, c'est l'ampleur des moyens mis en branle par la gendarmerie.

En tant que passionnée de chevaux, quel est votre ressenti ?

Au-delà de la souffrance inouïe consécutive à ces actes odieux, je m'interroge sur la ou les motivations sadiques. Pour moi, des prélèvements liés à un trafic d'organes ne sont pas à exclure, comme ce fut déjà le cas fin 2018. Plus largement, la France n'est pas assez sévère au niveau pénal contre les auteurs de sévices et d'actes de cruauté envers les animaux.

* Egalement membre de l’association Avocats et droit de l’animal et intervient au côté de ses consoeurs Marie-Bénédicte Desvallon et Anne-Louise Nicolas-Laurent.

L'initiative d'Eric Elias provoque en tout cas des remous dans l'Orne. Le colonel Frédéric Jobert, à la tête du groupement de gendarmerie départemental, martèle qu'on peut "accentuer la vigilance, mais surtout pas se faire justice soi-même". Sachant que dans le département, la plupart des propriétaires de chevaux sont également chasseurs et possèdent donc des armes...

Les critiques et réticences se font plus précises au sein d'organismes équins bien implantés localement. "Cette association AVIE ne fait pas l'unanimité d'autant que M. Elias est arrivé ici il y a six mois, on ne sait pas vraiment à qui on a affaire, méfions-nous des opportunistes", lâche une grande connaisseuse ornaise de la filière qui souhaite rester discrète.

Il n'est pas question de remplacer les forces de l'ordre, je fais confiance à notre Etat de droit !
Stéphane Meunier, président du syndicat des entraîneurs driver jockey de trot

Plus problématique encore, le cas de Stéphane Meunier, figure locale avec son écurie Aurmath basée à Croisilles, à quelques kilomètres de là, et nationale, comme incontournable président du Syndicat des entraîneurs driver et jockey de trot.

Eric Elias nous a affirmé que M. Meunier avait accepté d'"intégrer et soutenir AVIE". "Ce n'est pas vrai", nous explique cet entraineur réputé, "je n'adhère pas à ses méthodes qui ressemblent à celles d'une milice, il n'est pas question de remplacer les forces de l'ordre, je fais confiance à notre État de droit !"

Stéphane Meunier, Président Syndicat
des entraîneurs driver jockey de trot, installé dans l'Orne

Au-delà de cette polémique locale et relationnelle, les menaces physiques sur les chevaux inquiètent "sérieusement" ce professionnel, "ex-Parisien né à Boulogne-Billancourt" qui, depuis de longues années, s'est mis au vert.

"Il y a un cas tous les deux jours, c'est énorme. Pour se protéger, il faut trouver un relatif équilibre entre surveillance vidéo et patrouille physique, le tout en concertation étroite avec les gendarmes", estime Stéphane Meunier qui n'avance pas d'hypothèse définitive sur les motivations de ceux qu'il qualifie de "barjots". "Tout cela reste tellement opaque : pour qui, pour quoi ?".

Dans l'Orne, le milieu du cheval est déjà familiarisé avec une certaine forme de délinquance, moins cruelle et moins anxiogène. En 2018 et en 2019, une série de vols de sulkys (NDLR : attelages hippiques à deux roues d'une valeur comprise entre 10000 et 15000 euros), parfois jusqu'à neuf en deux jours, a empoisonné la vie des éleveurs.

Les milieux de l'hippisme et de l'équitation, durement frappés eux aussi par la crise sanitaire, attirent les regards. Attisent de temps en temps la curiosité, parfois le dédain. La faute à "une image de noblesse qui colle injustement à la peau", analyse Stéphane Meunier, "comme le tennis il y a 20 ans et le golf il y a 10 ans".

Je ne comprends pas le silence assourdissant des associations de protection des animaux sur les mutilations
Stéphane Meunier, président du syndicat des entraîneurs driver jockey de trot et éleveur

Malgré les apparences ("haras, clôtures en bois dans nos champs, maisons à colombages"), "nous sommes des entreprises normandes", assène-t-il. Sous-entendu : "Nous ne sommes pas des châtelains coupés du monde".

L'affaire des "mutilations" porte ces derniers mois un coup de projecteur inattendu sur tout un secteur dynamique très diversifié, et qui véhicule aussi une caravane de fantasmes. Stéphane Meunier cherche à les combattre en dénonçant "le silence radio, assourdissant dans cette affaire des associations de défense des animaux".

Il monte sur ses grands chevaux pour l'occasion : "Pourquoi n'entend-on pas les animalistes ? Ces gens-là ont une mauvaise vision de l'équitation en France, des bien-pensants qui vivent dans leur microcosme du XVIe arrondissement de Paris. L'exploitation animale est une vision des citadins par rapport à la ruralité, elle est erronée, et c'est dangereux car nous représentons une économie vitale pour beaucoup de territoires ruraux".

"Il y a une paranoïa ambiante, mais pas de raison de se laisser déborder par le stress"
Claire Neveux, éleveuse et éthologue

La majorité des cas de blessures ces derniers mois sur les équidés sont liés à leur propre comportement, ou à leur environnement. La psychose est-elle alors excessive ? « Le message est brouillé et le confinement a amplifié le phénomène », regrette Claire Neveux, qui possède la double casquette d’éleveuse de pur-sang et spécialiste du comportement équin et de la relation humain-cheval (« éthologue » au sein d'Ethonova).

Sur son installation de 5 hectares entre Caen et Lisieux, où elle possède une vingtaine d’équidés, Claire a fait poser des détecteurs de lumière automatique. « C’est un peu une conséquence de la paranoïa ambiante, sans se laisser néanmoins déborder par le stress ».

La jeune professionnelle ne comprend pas comment « des personnes peuvent s’en prendre aux chevaux avec un acte réfléchi ». Il n’est pas rare non plus, d’après elle, que les bêtes soient victimes d’« infrastructures inadaptées ». C’est son combat.

Animal grégaire, qui vit généralement dans un groupe social stable, le cheval n’agresse qu’exceptionnellement un de ses congénères. En revanche, un « mouvement inhabituel, un élément perturbateur, comme un coup de feu », peut le faire paniquer… Selon Claire, « la seule réaction d’un cheval face à la peur, c’est la fuite parce qu’il est souvent restreint dans un environnement clôturé, avec des barbelés parfois, source de nombreuses blessures ».

Plus largement, c’est le bien-être animal qui la préoccupe. Et la France, contrairement à la Suisse, Belgique ou les pays nordiques, ne se trouve pas dans les pays en avance… « Depuis deux-trois ans, ça bouge », positive l’éleveuse normande, « la filière est en train de s’organiser ». Au petit trot.

Le silence sur ces affaires morbides, touchant à l'intégrité d'un animal-symbole, est-elle la bonne solution ? Faut-il communiquer pour mieux sensibiliser et alerter ? Ou certaines associations sont-elles tout simplement gênées par rapport au statut du cheval chez ces éleveurs et exploitants qui destinent généralement leurs bêtes à la course. Pour Jean-Pierre Digard, l'ethnologue, également "surpris" par ce silence, "peut-être que ces associations sentent que le terrain est miné".

Du côté de la Société protectrice des animaux (SPA), "on a un peu parlé de cette affaire-là sur notre site internet", se défend Jacques-Charles Fombonne, son président, "l'autre raison de notre discrétion étant notre absence de pouvoir d'investigation".

La cellule anti-trafic de la SPA a bien fourni quelques renseignements au service centralisateur de la gendarmerie, mais sa mission sera forcément limitée, par manque de moyens.

Le cheval reste au centre de nos préoccupations, mais il ne faut pas être des ayatollahs de la protection animale
Jacques-Charles Fombonne, président de la Société protectrice des animaux

A Pervenchères, au grand refuge de la SPA dédié aux chevaux dans l'Orne, justement, les patrouilles de surveillance ont été renforcées pour "éviter toute malveillance". Ce refuge accueille environ 250 animaux, poneys et shetlands essentiellement. 70 ont déjà été adoptés.

M. Fombonne affirme que "le cheval reste au centre des préoccupations de la SPA, mais il ne faut pas être des ayatollahs de la protection animale", en réponse aux critiques formulées par M. Meunier. "On porte une extrême bienveillance à ces éleveurs", insiste M. Fombonne, "le bien-être animal, les combats éthiques sont de plus en plus présents dans la société, et le cheval devient un animal de compagnie, et c'est bien le problème".

Le bien-être animal et le sujet des mutilations figureront sans nul doute au menu de la première semaine digitale consacrée au cheval qui démarre ces jours-ci. L'année 2020 restera dans les annales comme celle d'une crise sanitaire sans précédent. Comme une année noire aussi pour le cheval. A son corps défendant.

(1) En 1386, à Villebadin, un écuyer et chevalier, Jacques le Gris, a été accusé du viol de Marguerite de Thibouville, femme de Jean de Carrouges, comte d'Alençon. Le parlement de Paris autorise alors le dernier duel judiciaire en France entre les deux hommes. Un livre "The last duel" inspiré de cette histoire a été écrit par l'auteur Eric Jager, et un film réalisé par Ridley Scott avec Ben Afleck et Matt Damon doit sortir en 2021.

(2) 0 800 738 908, lundi au vendredi de 9H à 17H

Enquête et réalisation
Xavier Frère